Giornale Roma - A la frontière inter-coréenne, un café-bunker qui rêve de paix

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A la frontière inter-coréenne, un café-bunker qui rêve de paix
A la frontière inter-coréenne, un café-bunker qui rêve de paix / Photo: ANTHONY WALLACE - AFP

A la frontière inter-coréenne, un café-bunker qui rêve de paix

Vautrés dans les divans du café Daonsoop, en Corée du Sud, les clients sirotent leurs americanos glacés en contemplant, de l'autre côté des barbelés, les montagnes de Corée du Nord et les miradors surmontés de drapeaux à étoile rouge.

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Ouvert en 2022 à Paju, près de Séoul, ce café est si proche des lignes nord-coréennes que les autorités ont posé des conditions spéciales pour délivrer le permis de construire: l'aménagement sur la propriété d'un bunker avec 25 meurtrières orientées vers le nord et de quatre positions fortifiées pour chars.

A vol d'oiseau, le café est à moins de deux kilomètres de la frontière. Malgré les contraintes que cela implique, c'est cette proximité que recherchait sa fondatrice Lee Oh-sook et son mari, tous deux enfants de réfugiés nord-coréens.

"D'ici, on peut voir la Corée du Nord, si proche mais inaccessible (...) Nos parents ont toujours espéré retourner dans leur terre natale, mais ils sont décédés avant de réaliser ce rêve. Alors nous avons choisi un lieu proche, pour penser à eux plus souvent", raconte à l'AFP l'entrepreneuse de 63 ans.

La guerre de Corée (1950-1953) s'étant conclue par un simple armistice et non par un traité de paix, elle n'a jamais officiellement pris fin.

L'armée sud-coréenne continue à parler de "ligne de front" pour désigner la frontière.

Sous les baies vitrées du café Daonsoop passe Jayu-ro, la "Route de la Liberté" qui dans un avenir idéal reliera Séoul à Pyongyang, mais qui pour le moment s'arrête à quelques kilomètres de Paju.

Camions et voitures y circulent comme sur n'importe quelle autoroute, mais les glissières de sécurité du côté nord sont hérissées de barbelés.

Car juste à côté coule la rivière Imjin, qui sépare les deux Corées. Entre les deux s'étend un terrain militaire où tout intrus sera "considéré comme suspect ou ennemi et abattu", prévient un panneau.

- Bunker et galerie d'art -

La nuit, des hauts-parleurs géants diffusent depuis le Nord une bande sonore à glacer le sang, mélange de hurlements de loups et de grincements fantomatiques, si puissants qu'ils font parfois trembler les vitres. Une riposte à la k-pop diffusée par le Sud pendant la journée.

Daonsoop est loin d'être le seul café avec vue sur la Corée du Nord (un Starbucks, ouvert l'an dernier dans un observatoire à la frontière, est même devenu une attraction touristique en soi). Mais il est l'un des plus proches du pays-ermite.

Son bunker est réquisitionné une fois par an par l'armée pour des exercices. Le reste du temps, un voisin et ami de la maison, le dessinateur Kim Dae-nyeon, alias Danny Kim, y expose ses oeuvres.

Accrochés entre les meurtrières, ses dessins évoquent la douleur de la division et les espoirs de réunification de la Corée.

"Ce bunker est certes un espace conçu pour le combat, mais pour ma part, je ne le vois pas ainsi", explique l'artiste "Je le considère comme un lieu où commencent la liberté et la paix, et qui sert à les protéger".

Un de ses dessins montre un pont imaginaire qui enjambe la rivière Imjin. Un autre des belettes qui manifestent avec des casques anti-bruit contre les nuisances sonores du Nord.

Quant aux emplacements pour chars, l'artiste en a peint les murs aux couleurs des quatre saisons.

Avant de devenir artiste à temps plein à sa retraite, M. Kim, 68 ans, était le chef de la Commission électorale nationale de Corée du Sud.

Une carrière de 40 ans au service de la démocratie qui a, dit-il, "profondément" influencé son art.

- "Division normalisée" -

"J'aimerais que la Corée du Nord adopte aussi la démocratie et la liberté un jour. Mes convictions de paix et de liberté se sont poursuivies tout au long de ma carrière publique et aujourd'hui, dans mon travail artistique", affirme-t-il.

Réputé pour ses brunches roboratifs et ses bières artisanales, le café attire souvent des réfugiés nord-coréens, surtout pendant les fêtes familiales de Seollal (le Nouvel an lunaire) et de Chuseok à l'automne. Depuis la terrasse, ils s'y recueillent devant leur terre natale, de l'autre côté des vases de la rivière Imjin que seuls les hérons ou les grues blanches peuvent pour l'instant franchir.

En face, agriculteurs et soldats nord-coréens vaquent à leurs occupations. A la fin de l'hiver, la fumée des brûlis dans les rizières du côté nord - une pratique polluante éradiquée au Sud - enveloppe le café de son odeur âcre.

Et pourtant, un grand nombre de clients, indifférents comme beaucoup de Sud-Coréens à ce qui se passe en Corée du Nord, n'ont aucune idée d'où ils se trouvent, regrette Mme Lee.

"Beaucoup de visiteurs ne savent pas que le Nord est juste en face", dit-elle. "La plupart des gens oublient que le pays est divisé et que cette réalité est normalisée. Mais lorsqu'ils viennent ici, ils sont souvent profondément surpris."

E.Rizzo--GdR